Vous êtes en train de consulter Journal des Parques J-40
Laquelle est la poignée de ma porte ? | Photo : www.delcampe.net

Journal des Parques J-40

Une poignée d'amour pour une poignée d'euros

Petit article court pour informer que cette nuit, j’ai été cambriolé

… en rêve.

Amusante sensation au réveil car dénuée de sentiment dramatique. Non, plutôt, la vie comme j’aimerais être capable de la vivre, mais tout n’est pas encore perdu. Je profite de ce blog pour remplacer ma séance d’analyse qui saute pendant les vacances.

Oui, j’ai ressenti le rêve comme sympathique en en sortant, car son décor était emprunt d’un sentiment de liberté calme sans être atone. Mon appartement était un rez-de-chaussée clair, relativement vaste, composé principalement d’un salon d’une trentaine de mètres carrés dont la caractéristique était de disposer de grandes porte-fenêtres en vitres à petits carreaux et croisillons de bois. L’une d’elles donnait sur une minuscule courette dallée adossée à un talus trop haut pour donner accès au moindre vis-à-vis. Une vieille table de jardin en bois, blanche à l’origine et deux chaises un peu bancales l’occupaient. Quelques plantes, qu’on définirait plutôt comme mauvaises herbes, y poussaient entre les dalles et s’échappaient presque à l’horizontal, du talus. L’autre porte-fenêtre était en fait la porte d’entrée. Les carreaux en étaient obscurcis par une sorte de revêtement métallisé cuivré qui devait donner un effet miroir vu du hall d’entrée, un peu comme il arrive qu’il y en ait aux portes des loges de gardien d’immeubles haussmanniens à Paris. Ce revêtement était considérablement écaillé et laissait apparaître le verre transparent en maints endroits. Je ne sais pas si, à l’origine, il était conçu pour être une glace sans tain permettant de voir les visiteurs passer ou se présenter à la porte, mais je ne l’espère pas car je trouverais ça hautement angoissant d’assister au défilé des passants traversant le hall ou empruntant l’escalier à longueur de temps. Toujours est-il, et c’est certainement là l’origine du cambriolage, que cette maigre séparation n’offrait pas une grande sûreté vis à vis d’une intrusion extérieure. Une simple poignée, trop de fois repeinte et tournant mal, actionnait une barre d’acier légèrement tordue, censée pénétrer plafond et sol pour constituer une fermeture trois points à la mode du 19ème  siècle. Une troisième fenêtre, de hauteur normale cette fois, était visible derrière le comptoir qui fermait à demi un coin cuisine à l’américaine, de ce fait lumineux aussi comme le reste de l’appartement, mis à part, curieusement, la cour. En fait d’appartement, je crois bien avoir décrit tout l’espace constituant mon lieu de vie dans ce rêve, hormis, une petite salle d’eau sur laquelle je n’ai pas d’information visuelle, mais que j’imagine modeste, suffisamment lumineuse, d’un bleu délavé, sans grand confort, mis à part un ancien radiateur de chauffage central trop de fois repeint lui aussi, du même bleu layette passé que les murs. La douche en inox, fixée à un coin de mur carrelé, ne doit pas, malgré un large pommeau, délivrer un débit bien puissant. Mais là j’extrapole après coup et commence à faire du roman. Ce n’est pas mon but. Revenons donc aux données du rêve à proprement parler. J’en termine avec la description de ce lieu, car pour achever de se figurer ce qu’il convient d’appeler finalement un grand studio, il faut s’imaginer l’ensemble complètement défraîchi. Au sol court une moquette gris vert, tirant sur le jaune aux endroits où, en été, de façon régulière, frappe le soleil. Il est à noté que paradoxalement et malgré la sensation plutôt lumineuse de l’espace, la seul véritable source de lumière extérieure serait la fenêtre du coin cuisine, dont le jour qu’elle diffuse est en partie arrêté par le bar en brique et bois formant la séparation d’avec le salon. Les porte-fenêtres donnant respectivement, je le rappelle, l’une sur une courette sans soleil, l’autre sur un vaste hall d’immeuble uniquement et faiblement éclairé comme ils le sont presque tous, à l’électricité. La moquette vert passé est sale et largement tâchée par endroit ; il est même possible qu’elle soit marquée d’un grand pli sur un côté où, l’imaginant à peine fixée sur un ancien parquet, elle n’aurait cessé de glisser à chaque passage, dans un sens ou dans l’autre, sur une très faible largeur, mais suffisante pour marquer ce pli devenu ineffaçable. Au centre, un imposant et vieux mais confortable canapé en tissus, aujourd’hui de couleur vieux rose, mais sans doute rouge ou bordeaux à l’origine ; c’est dire son ancienneté. Il cache un sommier métallique à ressorts, donnant accès, une fois déployé, à un lit très honnête, bien que couinant un peu en réponse aux mouvements trop brusques. Une lampe, quelques meubles, tous décatis à l’image de ce décor, un cendrier débordant de mégots, un verre utilisé la veille, traînant encore sur une table basse plutôt moche, voilà  pour parachever mon tableau. J’en viens enfin à la situation.

Lorsque j’arrive, les battants des portes-fenêtres sont largement ouverts et claquent incroyablement au vent comme si nous étions en pleine mer. Pour bien se le figurer, il faut s’imaginer plus précisément ces bourrasques de printemps, quand il fait encore frais, déboulant d’on ne sait d’où et faisant se fermer avec brutalité portes et fenêtres, surprenant tout le monde, comme si quelqu’un les avait volontairement claquées par un mouvement violent. Ce genre de micros événements suffisent, quand la vie parait douce, à créer l’émoi dans les repas de famille et faire se lever maître ou maîtresse de maison, afin de clôturer l’incident, que l’on fait mousser ensuite quelques instants encore pour s’illusionner de concert, avec une jouissance du moment présent partagée mais non formulée, sur une vie dont les seuls dangers se résumeraient à quelques coups de semonce donnés par le vent et que l’on résoudrait d’une main ferme après avoir eu bien peur ensemble. Voilà pour ma phrase proustienne.

Il faut dire que la porte de l’immeuble, par laquelle je me vois arriver, est également grande ouverte, favorisant logiquement les courants d’air.

La sensation d’entrer chez soi de plain-pied, d’une seule traite, sans avoir aucun obstacle à pousser est proprement féerique. Elle est l’incarnation physique de la libre circulation, des idées, des mots, des corps dans un agréable mouvement d’air ambiant.

Tout semble possible et le travail, dans sa mauvaise acceptation, c’est-à-dire contraint, n’existe pas. Tout porte à croire d’ailleurs et cette sensation d’autant plus, que mon cambriolage revêt des allures de déménagement, voir d’emménagement dans ce lieu effectivement familier, comme tous les lieux que l’on investi avec plaisir sans pour autant y avoir vécu. On s’y projette, détendu et prêt y vivre une vie formidable malgré les inévitables périodes sombres à venir, dont on sait qu’elles trouveront consolation dans cet espace de vie là. Je suis finalement naturellement conforté dans l’idée de l’emménagement par le fait qu’il y a même un diable abandonné dans le hall d’entrée, pauvre diable, et deux types assez ronds mais plutôt bien charpentés, en salopettes bleues, que je surprends juste au moment où ils font atterrir en douceur mon vieux canapé, qui pèse bien son poids, et que ses quatre petits pieds courtauds prennent place, si ce n’est pour l’éternité, du moins pour un paquet de temps, sur la maigre peau de cette malheureuse moquette usagée que décidément j’aime bien et ne changerai pour rien au monde. Je remercie les deux hommes, leur sers à chacun un verre d’orangeade versé d’une brique de carton que j’ai dans un sac plastique tenu à la main. Ils boivent d’un trait, non sans m’avoir gratifié d’un « c’est pas d’ refus » tout en épongeant leurs faces rougeaudes et humides de sueur. On dirait bien que ce sont des clones l’un de l’autre. Ils s’en vont.

Je ne ferme pas les porte-fenêtres, balance mon blouson et mon sac par terre sur la sympathique moquette dont la crasse ancienne ne me veut aucun mal et jette dans un mouvement similaire mon corps en travers du canapé, instantanément devenu mon Ayers Rock à moi, centre rouge de mon continent nouveau et pourtant tellement immémorial. Là, je suis à la fois content et heureux. Content de l’instant et heureux de l’avenir, dirais-je, quel qu’il soit. Je ne veux pas signifier qu’ainsi, je serais indifférent à un drame ou un malheur et que le simple fait d’être là, me conférerait un sentiment d’imperméabilité au monde, surtout pas. Je ne serais aucunement heureux de ne rien ressentir, y compris mes douleurs. Aussi désagréables soient-elles, leur gestion me constitue ; elles sont une part de moi. Non, ce que je veux dire, c’est qu’à cet instant j’ai la satisfaction d’être dans une bonne posture ; d’avoir une belle fenêtre sur le monde depuis ma tanière désuète, mais tellement bien aérée. J’ai l’âge que j’ai, voyez vous, mais me sens éternellement trentenaire, à globe-trotter dans ma tête et quand même un peu aussi à l’extérieur. Extérieur d’autant plus formidable que je l’écoute et le ressens à travers ma fenêtre qui pour autant ne m’en laisse quasiment rien voir. Je suis dans la posture du travail.

Peu importe alors que mon informatique ait disparu, qu’il y ait bien peu de livres sur mes étagères et que mon bagage entier tienne en quelques cartons. Je trouverais toujours assez de moyens pour que deux types sympas acceptent d’épargner mes lombaires en portant pour moi la seule charge archaïque et lithique de tous mes biens réunis, ce fameux canapé, à la fois couche et observatoire, finalement tapis volant véhiculant mes pensées, accueillant mes observations dans les bulles d’air de sa vieille mousse perforée.

Le lieu où je m’assieds et dors est le lieu où je pense. Il peut-être partout car c’est la posture que j’emporte.

Réflexion et repos suffisent presque, à quelques verres d’orangeade près, à mon bien être. Le reste est un génial, mais parfois grotesque et douloureux superflu.

Le lien par exemple, pour moi, n’est pas du tout à la source du bonheur ; bien souvent plutôt, l’inverse, synonyme de tracas et d’oppression. La conscience d’autres existences, elle, l’est. C’est l’amour de la diversité et le rassurant sentiment de n’être pas l’unique créature existant au monde. C’est en tous cas, ainsi que ça se passe pour moi. C’est la raison pour laquelle, je vais à la rencontre des autres, non sans apporter ma chambre et rester aux commandes de mon lit, oserai-je dire, si comme des enfants, il en est parmi vous qui me suivent dans cette métaphore intergalactique. Je ne suis pas aussi nu que j’apparais et ne vis le contact d’autrui que par le truchement premier de la façon dont l’appréhende la région de ma tête la plus primitive. Certains diraient, d’instinct. Mot qu’en l’occurrence je réfuterais tant l’homme m’en semble au trois quarts aujourd’hui malheureusement dénué. Je parlerais plutôt de faculté d’analyse instantanée, de scanner sensitif et mental. Pareil à un escargot ou une tortue, je ne suis donc jamais vraiment sans ma bio-cyber machine, ni hors de chez moi. Je ne suis pas pour autant, comme le divin Marcel, que je n’ai jamais fini de lire car il faut bien le temps de faire son œuvre à soi, cloué en robe de chambre, à gratter du papier assis sur mon grand lit. Pas assez ou inconsidérément écrivain, refusant néanmoins de tout y sacrifier, je me ballade encore hors des impératifs de ma pure création, entretenant par exemple, ce blog par défi et amusement, dans un temps où j’aurais mille choses plus urgentes à faire pour rendre efficace mon projet, dont se rapproche mon esquif à grande vitesse, comme le glacier du Titanic ; à moins d’ailleurs que ce ne fut l’inverse ou bien un concours des deux. Peut-être une attraction irrépressible entre le navire et l’iceberg, entre le pilote et la cible pour ne définitivement pas échapper cette fois, à la collision, voir à la collusion avec l’autre. Fusionnera-t-on ? Se rejettera-t-on l’un l’autre sans même le choisir, en un recul arrière irrépressible digne d’un trajet de balle de flipper au contact de l’amortisseur de caoutchouc ? Nous l’ignorons. J’espère simplement que je ne serais jamais assez prêt pour l’anticiper ou le prévoir. Vu le temps que m’absorbe ce blog, il n’y a que peu de danger à mon sens, à moins qu’il n’y participe au contraire pleinement, ce que je crois au moins sur un aspect des choses : c’est que le cœur d’un bon spectacle, loin d’être réduit à ce qui s’y passe, est principalement fait, tout comme nous le sommes des 90% d’eau que nous ne voyons pas, du trajet qu’il aura fallu accomplir en soi-même pour parvenir à lui. C’est là le véritable défi qu’on se lance à travers quelque œuvre que ce soit, qui consiste toujours à se dévoiler nouvellement sous un jour intérieur. Une infime probabilité voudrait que moi qui l’écris et vous qui l’auriez lu, tant partenaires que spectateurs inconnus, nous nous comprenions si bien et fassions qu’il n’y ait plus de spectacle, plus rien à faire, ni à montrer, ni à voir. Ce serait fantastique. Ne rêvons pas. D’autres cas, s’avèrent plus probables.  Peut-être ne vous sentirez-vous pas concernés ou pétris d’anxiété, vous tiendrez-vous à distance respectable, recréant ainsi le fatal espace scénique ? Peut-être emporterez-vous tous mes jouets sans que je puisse rien y faire ? Quelque chose en moi se réjouit secrètement de cette option, qui attend le retour à la vie « pauvre » et à l’importance de l’instant. Je ne parle pas de la misère, mais de la vie modeste et pauvre en projets d’avenir. La vie qui consiste à vivre et jongler avec ses pensées jusqu’à ce que … plus rien. Je ne suis pourtant pas si loin de mon rêve.

J’ai passé ma maison entière, seul bien conséquent à mon échelle, que j’eus jamais dans une campagne boueuse, dans le financement de projets scéniques. Le moindre colombage a trouvé sa réincarnation en pied de micro ou barre bretonne pour soulager les petits creux des tournages. Tout est consommé.

Quand je n’aurai plus rien, je serai riche car chaque moyen mis en œuvre sera le fruit de la nécessité. C’est ainsi que j’aime concevoir les rapports, sous l’éclairage d’une prostitution consentie, équitable et partagée. Tu me donnes contre ce que je te donne. Nous ne nous figurons pas ainsi que quoi que ce soit aille de soi, face à l’usage d’un des seuls biens qui comptent et qui nous soit donné au départ, le temps. Il s’écoule certes inexorablement, mais comme un flux d’eau se retirant, il laisse derrière lui, sous les pas du flâneur, son limon de richesses, d’expériences en tous genres. Méfions nous de la gratuité, elle n’est qu’en apparence et coûte souvent très cher, à moins d’être obtenue de la vraie volonté de donner, chose que je crois rarissime, mais dont j’ai la chance de connaître quelques sources intarissables. Pour le reste, une bonne rasade de jus d’orange en remerciement et quelques billets pour l’effort me semblent le plus sûr moyen que la vie reste courtoise et belle entre nous. Il devrait en être couramment de même pour le sexe, l’amitié ordinaire et les amours de passage.

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.