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Hasards et arbitraire de l'improvisation | Les Parques d'attraction - Tableau n°1 © David Noir d'après photo © Karine Lhémon

Que règne l’arbitraire !

Méthodes de travail et visée des représentations

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J’insiste ici sur la valeur profonde que j’accorde à l’arbitraire comme authentique planche de salut des situations créatives inextricables ou pauvrement fructueuses, qu’offrent l’apparente logique et le raisonnement appliqué.

Adieu la triste cohérence, bonjour l’arbitraire de l’art

Depuis plusieurs années je distingue deux zones principales nécessaires à mon activité : le laboratoire, à caractère totalement privé et le plateau où s’effectue la réalisation publique. J’inclus dans ce deuxième espace, les répétitions avec les interprètes. On peut bien entendu les nommer acteurs au sens largemais ils/elles sont également les premiers découvreurs des fruits d’une recherche solitaire qu’il serait impropre de réduire à une phase d’écriture de texte.

Dans mon cas, il s’agit d’une interaction naturelle et permanente entre apparition des mots destinés à la scène et conceptions des contextes dans lesquels on les profère ou qu’ils suscitent eux-mêmes. Représenter, revient alors pour moi à faire s’entrechoquer les témoins des « pièces » sorties de ma forge – au sens où sculpteurs et musiciens l’entendent.

Elles sont les corps physiquement stables, pivots de mon installation, autour desquels je pousse comédiens et spectateurs à tourner. Je cherche ainsi à créer une représentation psychique en 3D dans l’esprit de celui qui joue, regarde et entend. Les formes modélisées couramment produites de nos jours par les logiciels d’animation graphique en seraient d’ailleurs une bonne illustration. Toute mon énergie – depuis 10 ans que se précise en profondeur ma forme théâtrale – concourt à donner vie, perfectionner et faire admettre ce prototype.

Jour après jour, je conçois finalement un théâtre de synthèse, pour ne pas dire de substitution, comparé à celui fait des matériaux de la pensée traditionnelle.

L’aspect rotatif de ma vision, même s’il peut sembler uniquement virtuel, m’est très important, ne serait-ce que par les images mentales qu’il suscite, telles que « tourner autour du pot » ou « faire le tour de la question ». C’est également une dynamique physique que j’utilise fréquemment lors des répétitions ou des ateliers dans lesquels je veux insuffler et faire comprendre ma pensée. En résumé, j’effectue une approche circulaire, concentrique et en volume de mon sujet et tente d’en donner une perception similaire aux témoins extérieurs, car c’est là ma structure d’esprit.

Je désire profondément que spectateurs et acteurs, que je place sur un plan d’égalité face à mon travail, conservent de notre mise en présence un objet manufacturé, un module de pensée réutilisable, une système conceptuel open source, plus tangible que le seul souvenir d’un évènement.

Hasards et arbitraire de l'improvisation | Les Parques d'attraction - Tableau n°1 © David Noir d'après photo © Karine Lhémon
Hasards et arbitraire de l’improvisation | Les Parques d’attraction – Tableau n°1 © David Noir d’après photo © Karine Lhémon

 

Toute création est le fruit d’orientations et de choix arbitraires

Autre grande ligne géographique de ma méthode de travail : l’usage d’un imaginaire à rebours. Tel l’archéologue de ma propre production, il s’agit toujours pour moi de remonter le cours de ce qui s’extrait de mon cerveau, pour reconstituer à partir de quelques éléments de départ, la ville ou la tombe ensevelie qui, au bout du compte, constitue la véritable création. Je considère donc que si j’ai quelque chose à inventer – comme on le dit pour un trésor – c’est certainement la compréhension de ma propre essence, de ma civilisation inconsciente, afin de me permettre la découverte de mes projets enfouis. Et comme pour toute interprétation faite à partir de rares éléments trouvés au cours de fouilles guidées par un instinct, le résultat est le reflet de l’arbitraire des choix qui y ont conduit. (cf. Démarche)

Par le décryptage de mes poubelles fossiles, j’organise donc la structure de ma chimère à venir.

Dans ma conception, l’invention a déjà eu lieu, alors même qu’on se pose la question de la faire naître. Il s’agit de chercher en soi, où elle peut bien être en train de se cristalliser au moment x. Conception qui m’amène à considérer naturellement que toute création est avant tout déjection, excrément qu’il serait nocif de conserver en soi trop longtemps et que tout créateur n’a de cesse de devoir propulser hors de son propre corps.

J’insiste ici, au passage, sur la profonde valeur que j’accorde à l’arbitraire – si tant est qu’il existe réellement – dans ma démarche, comme déclencheur tangible et bien souvent, véritable planche de salut des situations créatives inextricables ou pauvrement fructueuses que proposent l’apparente logique et le raisonnement appliqué.

C’est bien souvent sous couvert des arguments d’une triste cohérence que le conformisme et la soumission normée tentent le créateur qui refuse d’entendre l’instinct qui le pousserait à passer outre ces balises. J’irai même jusqu’à dénoncer le sentiment d’une honte coupable d’un désir d’émancipation qui bien souvent stigmatise les auteurs et qui revendique par ailleurs les charmes de la fiction naturaliste ou du scénario « en béton », gage de qualité des productions standards – aspiration fantasmée de l’apprenti professionnel.

Nombre de spectateurs dont l’exigence d’équilibre apparent est soumise aux mêmes interdits, sont entraînés malheureusement bien souvent par la très courante dérive de la quête de « la création harmonieuse ».

Ce goût de l’académisme, puisque c’est le nom réel qui lui revient, peut sembler une fatalité de chaque époque, un passage obligé pour les consciences qui aiment se lover dans un confort maternant pour l’esprit, afin de se donner un peu de latitude avant d’accepter d’affronter les incontournables évolutions de nos sociétés. Un siècle après l’autre le confirme, mais s’il ne peut que s’incliner devant cet état de fait à l’échelle de son environnement, il appartient à un créateur de formes de constamment traquer et isoler sa propre propension au conformisme et à la complaisance vis-à-vis de ses pairs, afin de l’exécuter brutalement sans sommation et entretenir en lui la petite guerre civile propre à la dualité de l’individu en éveil.

Erection de l’art-bite-traire et élection du geste gratuit

De ce point de vue, la contre révolution que représente l’érection de l’arbitraire en tant que valeur intime, doit faire peser une menace salvatrice sur le consensus mou du sentiment d’un équilibre démocratique de l’art. C’est là un point qui m’est essentiel. L’art ne peut accepter l’équilibre vers lequel il veut néanmoins tendre. Les deux pôles fondamentalement antinomiques dans un même être que sont, la citoyenneté de sa part « individu » et la singularité de sa part « artiste », ne peuvent que créer un arc paradoxal permanent, ne pouvant sacrifier à aucune des forces d’attraction principales sans profondément l’affaiblir, l’entacher ou le condamner à la dissolution de ses principes, d’une extrémité à l’autre.

Les rébus de la société © David Noir
Les rébus de la société © David Noir

Ainsi l’art citoyen est-il autant une menace pour l’état de la création, que le terrorisme peut l’être pour la sécurité de nos vies courantes.

C’est là ma conviction intime et le ressenti profond d’un mouvement intérieur. Quiconque désirerait comprendre mon travail ne saurait s’y employer sans consentir au préalable à l’acceptation de ce paradoxe. De cette situation personnelle découle un discours et des propositions parfois mal appréhendées par des institutions pourtant en charge d’étudier les circonvolutions sinuant au cœur des arts contemporains. Je tiens ici à faire comprendre au mieux ce cheminement car il n’a jamais été dans mes préoccupations d’aboutir à un choc stérile entre mon esprit et ceux de mes interlocuteurs.

Qui voudrait comprendre un peu plus aisément le sens de ma démarche artistique, plus particulièrement en ce qui concerne le théâtre, trouvera quelques éléments explicatifs supplémentaires dans un entretien vidéo réalisé par Guillermo Blanco en octobre 2017, dans la section Pédagogie : Principe et méthode.

David Noir

David Noir, performeur, acteur, auteur, metteur en scène, chanteur, plasticien, vidéaste, bricoleur sonore, enseignant... trimbale sa nudité polymorphe et son enfance costumée sous le regard et aux oreilles de qui veut voir et entendre.

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